En cette période de reconfinement, de quoi parler, sinon du covid 19 ? Cette chronique commencera donc par l’évocation des contributions de quelques membres de contrat social aux réflexions sur le sujet - réflexions qui, du reste, dépassent un peu l’épidémie proprement dite pour aborder la question de la coordination public/privé en matière de vaccins.
Il existe cependant d’autres vies que celles du COVID. C’est pourquoi nous parlerons des réactions de Alain Raab à la précédente chronique, à propos des recherches sur l’utilisation de l’hydrogène comme vecteur d’énergie. Nous y ajouterons un commentaire sur l’état de ces recherches aux USA. Nous aurons ensuite à nous pencher sur la notion de « laïcité » -une autre dimension de l’actualité, après les drames suscités par l’évocation des « caricatures de Mahomet ». Nous terminerons par l’évocation des résultats de l’élection américaine, d’un côté, par les propos d’une ministre sur le réchauffement climatique de l’autre.
I - Le Covid
À l’heure du second confinement, et après des centaines d’heures de débats médicaux sur toutes les chaînes de télévision, il ne semble plus possible de dire quelque chose d’original sur le sujet... Pourtant, plusieurs contributions jettent une certaine lumière sur divers points irritants :
a) Le point sur la statistique du virus
Jean-Luc Devaux nous présente une série de courbes très synthétiques qui donnent une idée plus claire de la question que le galimatias habituel.
D’abord, le covid a bien augmenté de façon très significative la mortalité courante en France. Cela ne s’est pas passé tout le temps : il y a eu de longues périodes en 2020 pendant lesquelles la courbe qui représente la mortalité semaine après semaine ne se distingue pas de celles des années précédentes. Cependant, de la mi-mars à la mi- avril, ainsi surtout que du 1er octobre au 15 décembre 2020, les courbes décrochent, et le nombre de décès, en gros, double par rapport aux années précédentes aux mêmes périodes. Ces périodes ont coïncidé avec des décisions de confinement : celles-ci ont été prises une à deux semaines après le début du «décrochage». Une ou deux semaines plus tard, on observe le « pic », puis l’écart entre la courbe de 2020 et celles des années précédentes diminue progressivement et tout rentre dans l’ordre en quelques dizaines de jours. Il est tentant d’en conclure que le confinement a été efficace.
Il faut quand même se souvenir du fait que « coïncidence n’est pas causalité », comme semble la montrer la figure suivante, le nombre de décès attribués au COVID en France et en Suède . On y voit bien que l’allure générale des deux courbes est la même. Cependant, la France a confiné chaque fois que la courbe « montait » de façon significative, tandis que la Suède n’a rien fait de particulier…Est-ce à dire que le confinement français était complètement inutile ?
Nombre de décès attribués au Covid
b) Les vaccins
Il y a d’abord eu la transmission par Caroline Houillier d’une note de Martin Hirsch qui fait le point sur l’efficacité des vaccins. Globalement « cela marche » : il montre les courbes qui représentent la contamination en fonction du temps pour d’un côté, la population générale, de l’autre, le personnel hospitalier : les deux sont tout à fait parallèles jusqu’au début de la campagne de vaccination. Elles « divergent » par la suite, celle du personnel hospitalier décroissant fortement par rapport à l’autre. Il est difficile de ne pas voir ici une conséquence d’un taux de vaccination beaucoup plus élevé dans le personnel hospitalier.
En même temps, il y a eu le cafouillage autour du vaccin « Astra Zeneca », considéré comme « bon pour le service », puis retiré de la circulation du fait de complications observées. En fait, ces complications concernent 7 cas (dont trois mortels) sur plusieurs millions d’injections, comme le montre un autre document de Caroline Houillier.
De toute façon, un vaccin ne se prépare pas en claquant des doigts : il faudra donc attendre quelques mois pour en avoir des milliards de doses. Dès lors se pose la question des priorités : mais comment choisir qui doit être prioritaire ? Jean-Luc Devaux envisage deux critères pour cela. Le premier consiste à maximiser le nombre de vies sauvées par dose de vaccin utilisé (ou, ce qui revient au même, minimiser le nombre de décès). Il faut alors réserver le vaccin aux plus de 90 ans. La seconde vise à maximiser le nombre d’années de vies gagnées par la vaccination, toujours par dose de vaccin utilisée : alors, il faut réserver le vaccin pour les personnes entre 60 et 90 ans... En pratique, les politiques réelles utilisent un mélange des deux solutions, en vaccinant tout le monde dès 70 ans...
En tout état de cause, l’ensemble de ces réflexions n’a pas suscité beaucoup de réactions des membres de Contrat social... Lassitude ou manque d’intérêt ?
Pas beaucoup de réactions, non plus, devant un texte de Boris Cyrulnik (proposé par Moulet-Fortis, publié sur le site de Contrat-Social) qui attribue les dégâts du Covid à la civilisation contemporaine.... Mais il est vrai que cet auteur en rajoute dans la soumission à la culture populaire, par exemple en attribuant à l’agriculture intensive l’émergence du coronavirus...
Un document proposé par J.C. Angulo (Fabuleux destin autour d’un vaccin, publié dans étonnante époque, en ligne sur le site Contat Social) par contre, a déclenché des remarques. Il concerne le succès de Jean-Claude Bancel, un Français qui a développé aux États-Unis l’un des deux premiers vaccins homologués contre le covid. L’auteur est très critique vis-à-vis de la bureaucratie européenne qui a retardé de plusieurs mois la mise en oeuvre de ce vaccin. Il tire cependant une leçon de cette aventure : « la fantastique capacité d’innovation du capitalisme, de ses start-ups et ses fonds d’investissement ou comment l’intérêt particulier à but hautement lucratif finit par rejoindre l’intérêt collectif » . On pourra lui objecter la non moins fameuse remarque de Keynes dans son traité des probabilités : « Millionaires are often fortunate fools who have thriven on unfortunate ones ».
II - Les suites de la chronique précédente, le nucléaire et l’hydrogène
La précédente chronique comportait un chapitre sur l’hydrogène (en tant que carburant) aux États-Unis. Alain Raab a réagi sur ce point (et d’autres) de la précédente chronique : d’abord, sur l’hydrogène : « Quand M. Pouyanné », dit-il , « doute du réalisme de la recherche sur l’hydrogène, on ne peut l’ignorer. Mais peut-on ignorer les budgets considérables qu’Air Liquide consacre à cette recherche ? ». Il a tout à fait raison, et ce point peut être illustré par un article récent trouvé par Jean-Marc Boussard sur la revue Transition & Énergie (« Aux États-Unis, le couple Nucléaire - Hydrogène a de l’avenir », du 17 mars 2021).
Cet article est orienté : il fait la promotion de « l’hydrogène » sans parler de ses inconvénients, en particulier sa propension à exploser... Il n’en demeure pas moins qu’il est impossible d’ignorer l’ampleur des recherches menées sur le sujet aux États-Unis, et surtout, sur leur originalité : l’objectif n’est pas d’équiper les voitures individuelles, mais bien plutôt des camions et des bateaux, ce qui limite les risques en faisant effectuer des manœuvres plus rares par des professionnels plutôt que des pleins plus fréquents par n’importe qui, comme cela apparaît dans le document cité.
En France, un autre document proposé par Jacques Lefèvre (L’avenir de l’industrie nucléaire en France, publié dans la revue l’Engagement de Février 2021 ) est plus mesuré : Il admet que le nucléaire est actuellement un élément incontournable de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, et qu’il faudra donc plutôt le développer dans les prochaines années, en particulier pour faire face à l’obsolescence des centrales les plus anciennes du parc. Mais en même temps, il en souhaite la disparition à long terme, arguant du coût croissant des nouvelles centrales par rapport aux « énergies renouvelables ».
Ces documents ont entraîné plusieurs commentaires : Jean-Claude Angoulvant s’inquiète de la pertinence des idées reçues sur les gaz à effet de serre. Alain Raab, lui aussi, s’interroge sur la validité des théories correspondantes, ainsi que sur la pertinence des accords internationaux en la matière. En particulier, sur l’utilisation de l’énergie électrique, considérée comme une alternative, il craint que la pénurie de « terres rares » (pour les batteries) et le problème des déchets liés à la réforme des batteries ne viennent ruiner les espoirs qui y sont mis.
Il est vrai que selon Contrepoint (18/2/21), la ministre de l'Écologie elle-même « confirme qu'il n'y a pas de lien entre les énergies renouvelables et l'effet de serre », parce que, en fait, les éoliennes, pour leur fabrication, émettent autant de gaz à effet de serre que des combustibles minéraux... : Si c’est vrai, alors, en effet, l’invasion des éoliennes relève juste de la « dictature écologique » sans autre but que l’affirmation du pouvoir de ce parti...
Plus profondément, les débats associés soulèvent une autre question, sur laquelle sont intervenus plusieurs membres de contrat social, à la suite d’une initiative du club des vigilants : celle de savoir si l’on peut soumettre un gouvernement à une obligation de résultat, éventuellement contrôlé par la Justice. « Ce serait remplacer la démocratie par le gouvernement des juges », nous dit Jean-Claude Angoulvant...
III - la laïcité et le Grand Inquisiteur
Les restrictions que nous impose la lutte contre le Covid sont-elles justifiées ? Au-delà des aspects techniques (peut-être le confinement n’influe en rien sur l’évolution de l’épidémie), se pose le problème du statut philosophique des entraves à la liberté. De ce point de vue, il faut lire le document proposé par J.C. Angoulvant sur « le grand inquisiteur ». Il s’agit d’un fragment du fameux roman de Dostoïevski Les frères Karamazov.
C’est un morceau de littérature époustouflant, dans lequel un imprécateur s’insurge contre la notion de liberté : Rien, jamais, ni pour la société humaine ni pour l’homme, n’a été plus insupportable que la liberté ... La liberté crée des inquiétudes et des désordres qu’un dictateur bienveillant se doit de supprimer, pour avoir un peuple docile et finalement heureux... une leçon reprise par Georges Orwell dans 1984, ainsi que Albert Camus dans son discours de réception du prix Nobel de littérature.
De fait, les restrictions dont nous souffrons nous sont inspirées par le souci du « bien commun » - on pourrait dire aussi du Contrat social - . Elles ne visent pas directement à faire notre bonheur malgré nous, mais, en empêchant la transmission du virus d’une personne à l’autre, à maximiser le « bonheur global », même au prix d’une restriction des libertés de chacun. Naturellement, cela dépasse de beaucoup le problème du coronavirus. Dominique Nouvellet nous en donne un exemple à propos de la « laïcité » et du « droit au blasphème », dans un document du Club des vigilants reproduit sur le site de Contrat Social.
La laïcité implique que toutes les religions soient autorisées dans l’espace national, et donc que chacun soit libre d’exposer ses vues sur l’une ou l’autre, quitte à chagriner les fidèles de la religion attaquée. Certains auteurs s’autorisent de cela pour proclamer un « droit au blasphème » permettant de rendre ridicule une autre religion que la sienne (fut elle l’absence de religion !). C’est ce qui avait été fait par les auteurs des fameuses «caricatures de Mahomet ».
Naturellement, il est hors de question de critiquer les « blasphémateurs » après les atrocités dont ils ont été victimes. Pourtant, on ne saurait en faire des martyrs de la laïcité. En proclamant le droit de pratiquer la religion que l’on veut, celle-ci implique aussi de la mesure dans les commentaires que l’on peut faire sur les autres -mesure évidemment absente des « caricatures de Mahomet », quoiqu’on puisse dire de l’Islam ! En vérité, le blasphème est une blessure à l’esprit des fidèles de la religion ciblée, et nul n’a le droit d’infliger une blessure à quiconque. Le document de Dominique Nouvellet insiste sur ce point. Il rejoint ainsi un autre « intellectuel de gauche », Régis Debray, dont on pourra lire l’opinion sur le site de Contrat social. Il est dommage qu’il n’ait pas fait l’objet de commentaires. Il est vrai que, sans doute, la grande majorité (sinon la totalité) des membres de Contrat social sont de son avis...
III - Les élections américaines
L’échec spectaculaire du Président Trump lors des dernières élections américaines constitue l’une des surprises de l’actualité. L’évènement a entraîné une foule de commentaires plus ou moins pertinents. Toutefois, il vaut la peine de lire sur ce point le Cahier de la métamorphose, (N° 11, Mars 2021) qui en donne une interprétation originale.
Les Cahiers de la métamorphose interprètent l’évènement comme une avancée de la « métamorphose » - cette évolution de l’Histoire vers plus de complexité, mais aussi plus de possibilités de bonheur et d’humanisme. Le fond de l’argument est que Trump avait une vision « mécaniste » de la politique, « une mesure » servant à remédier à « un défaut ». Or dans nos sociétés de plus en plus complexes, il faut toujours considérer les effets secondaires, les circuits en boucle, les contre-mesures. Biden est supposé mieux capable de gérer cela, en accompagnant la marche de la société américaine vers la complexité. Il serait même capable d’orienter le système vers la « simplexité » - une notion qui s’applique aux systèmes complexes lorsque, de l’intérieur, on introduit des procédures simples capables de gérer des situations compliquées.
Il reste que, en ce qui concerne Trump et Biden, les analystes de la Métamorphose pourraient se tromper. Peut-être (ce serait une illustration de la complexité des systèmes politiques !) que Trump était beaucoup moins fou qu’il en avait l’air, dissimulant sa perspicacité pour amadouer son électorat, tandis que Biden, en voulant mettre sa subtilité en avant, ne ferait que déclencher des phénomènes incontrôlables ....L’avenir nous le dira !
Cela dit, une contribution entièrement différente, parue dans Politique internationale, rédigée par Sophie Mitra, une Française enseignante à l’université Fordham de New York, s’intéresse à la pauvreté aux États-Unis. Avec des hauts et des bas, celle-ci, de quelque façon qu’on la mesure, reste assez constante au fil des années, en dépit de la « guerre contre la pauvreté » engagée par Lyndon Johnson, et sans que le mandat de Trump semble avoir significativement modifié le phénomène (même si, à la fin de son mandat, la pandémie a conduit à fortement l'augmenter) . Il est pourtant évident qu’une telle situation ne pourra encore durer très longtemps... Le Président Biden, volens nolens, devra s’attaquer au problème, alors que le PIB par tête augmente continuellement, même si la question n’a pas été un thème de la campagne électorale.
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Cette chronique est plus courte que d’habitude : l’auteur manquait de matière première, et même des rubriques standard manquaient : par exemple, il n’aura pas été possible d’ajouter un développement sur les aventures de notre ami Christian Colas, le maire d’Isdes, dont les chroniques de terrain sont toujours passionnantes, mais qui était ce trimestre complètement débordé par la gestion locale de l’épidémie de Covid ... Nous conclurons cependant par une note d’humour envoyée par J.C. Angoulvant :
Devenu vieux et aveugle, le grand écrivain argentin Jorge Luis Borges décida de visiter Dublin, car c'était la seule ville dont il connaissait le plan par cœur, grâce à ses multiples relectures d'Ulysse de James Joyce. Voulant traverser une artère apparemment fréquentée, Borges s'arrêta au bord du trottoir et attendit qu'on vienne l'aider.
Au bout de quelques instants, une main lui saisit le bras ; l'autre homme ne disait rien, mais d'un pas commun ils s'engagèrent sur la voie. Lorsqu'ils furent tous deux parvenus sur le trottoir d'en face, l'inconnu desserra son étreinte, et, se penchant à l'oreille de !'écrivain, lui murmura : « Merci, monsieur, d'avoir aidé un aveugle à traverser la rue. »...
Voilà, nous dit Jean-Claude Angoulvant, une anecdote sur le caractère aléatoire de notre perception du réel. Nos dirigeants devraient avoir à cœur de la méditer tant leur gestion des crises sanitaire, économique et sociale relève davantage du combat entre l'obscur et l'obscurité que de la pleine clairvoyance....
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