Extrait de MARIANNE Publié le 30/06/2021 à 17:36
Interview de Bernard ACCOYER, ancien président de l'Assemblée Nationale
Il y a un an, jour pour jour, le réacteur numéro 2 de la cen-trale nucléaire de Fessenheim était mis à l'arrêt. Victoire pour les écologistes hostiles au nucléaire, cette fermeture avant démantèlement était le premier pas vers la réduction de 75 à 50 % de la place de l'atome dans le mix énergétique français. Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale et président de l’association Patrimoine nucléaire et climat, déplore encore cette décision « prise à la légère ».
Marianne : Lorsque François Hollande et Emmanuel Macron ont décidé de fermer Fessenheim, le calcul politique l’a-t-il emporté sur la rationalité ?
Bernard Accoyer : Oui. ça commence en 2011, quand Martine Aubry négocie l’accord politique en vue de la présidentielle et des législatives de 2012. Il y a une exigence d’EELV, qui est la sortie du nucléaire. Dans ce parti, il y a une posture dogmatique, avec une priorité donnée à la sortie du nucléaire par rapport à la lutte efficace contre le réchauffement climatique. Fessenheim, c’était un totem.
Ensuite, Ségolène Royal s’est empressée de fixer la réduction de la part du nucléaire à 50 % en 2025. C’était complètement illusoire, utopique ! François Hollande n’a pas tenu sa promesse, et Emmanuel Macron l’a reprise afin de séduire des socialistes comme Arnaud Leroy, devenu président de l’Ademe, ou Nicolas Hulot.
N’y avait-il pas malgré tout des raisons techniques valables de fermer Fessenheim ?
Aucune. Fessenheim avait été évaluée par l’Autorité de sûreté nucléaire comme une centrale dont les unités de production et les personnels étaient performants et sûrs.
Ce n’a pas toujours été le cas, en 2007, l’ASN pointait un « manque de rigueur » dans la gestion de la centrale par EDF…
Le nucléaire, à juste titre, est extrêmement surveillé, par une autorité indépendante qui dit tout ce qu’elle a à dire, et qui ne tait rien. Je comprends que les militants antinucléaires aient fait leurs choux gras de ces déclarations, c’est de bonne guerre, mais l’ASN a depuis produit des rapports montrant qu’il n’y avait aucun problème.
Les opposants en question soulignent que, dans le cas de Fessenheim, le risque d'inondation, qui pourrait survenir en cas de débordement du Grand Canal d’Alsace, n’avait pas été pris en compte lors de la construction de la centrale. N’est-il pas normal qu’on évite de prendre un risque inutile ?
C’est une hypothèse, de même que la chute d’une météorite géante en est une… Tous les risques ont été étudiés de façon extrêmement rigoureuse, et ceux qui apparaissent le sont également : si l’ASN les juge trop importants, on ferme. Mais ce n’était pas le cas pour Fessenheim.
Le démantèlement d’une partie du parc nucléaire français ne risque-t-il pas de créer plus de problèmes que la mise à niveau des centrales ?
Ce ne sont pas des problèmes, c’est un scandale ! C’est un gâchis financier de détruire des machines qui ne demandent qu’à produire, sans émettre de dioxyde de carbone, qui sont amorties depuis long-temps et qui sont mises à niveau en permanence. Par-dessus le marché, le démantèlement va nous coûter les yeux de la tête : entre l’indemnisation d’EDF, de l’Allemagne, de la Suisse (l’une et l’autre actionnaires de la centrale, N.D.L.R.) le manque à gagner annuel, on arrive globalement à une dé-pense de dix milliards d’euros sur une quinzaine d’années…
Vous évoquiez l’Allemagne : elle n’est pas étrangère à la fin de Fessenheim…
Bien sûr, ce qui a beaucoup joué, c’est la pression du gouvernement pour fermer la filière nucléaire, non pour des raisons écologique ou industrielle, mais parce qu’Angela Merkel était convaincue qu’un jour, la CDU devrait réaliser une coalition avec les verts allemands.
Il y a deux autres facteurs : une forte emprise de l’idéologie nucléaire, notamment héritée de la Guerre froide, et l’obsession allemande de la puissance industrielle, qui passe aussi par l’énergie. Or le nucléaire est l’un des derniers avantages compétitifs de la France sur nos voisins, de sorte que l’Allemagne veut flinguer la filière française. L’affaire de la taxonomie verte à Bruxelles montre que c’est encore à l’ordre du jour.
La France n’a pas été assez combative pour protéger le nucléaire ?
Notre diplomatie n’est pas vraiment mobilisée pour ça. Sur l’affaire de la taxonomie verte - une classification écologique permettant d’obtenir des aides de l’État et de l’UE, N.D.L.R. -, nous aurions au moins pu former une minorité de blocage avec la dizaine de pays qui se sont tournés vers l’atome. Mais au lieu de ça, Pascal Canfin, ancien d’EELV devenu macroniste, préside la commission environnement à Bruxelles et joue ouvertement contre le nucléaire français, et pour le gaz.
Mais on peut comprendre que certains privilégient les énergies renouvelables (ENR) sur le nucléaire…
Il faut des ENR, mais à côté du nucléaire, parce que l’éolien ou le solaire ne sont pas pilotables. Remarquons au passage que le développement à marche forcée des ENR coûte excessivement cher - bien plus que le nucléaire, qui a permis aux Français de payer l’électricité bien moins cher pendant des décennies.
Une partie du problème, c’est que le lobby des ENR a une puissance de feu considérable : il regroupe à la fois les antinucléaires dogmatiques et les fabricants d’éoliennes ou de panneaux solaires, mais aussi les pétroliers, qui veulent profiter de la production intermittente des ENR pour vendre du gaz, et un certain nombre de spéculateurs pour qui les ENR sont un véritable jackpot, puisque c’est une énergie préachetée sur 15 ou 20 ans, prioritaire sur le réseau électrique, soutenue par les États, etc.
Il y a bien un lobby pro-nucléaire en face, non ?
Un lobby nucléaire ? Quel lobby nucléaire ? Il devrait venir d’EDF, mais EDF a le nucléaire honteux. Vous ne verrez jamais une pub d’EDF sur le nucléaire.
D’après vous, l’arrêt de Fessenheim a-t-il signifié le début de la fin pour la filière nucléaire française ?
C’est le but des antinucléaires. Notre objectif, c’est le contraire. La décision a été prise à la légère, sans même une étude d’impact. Il est temps d’arrêter les frais. Pour Fessenheim, c’est trop tard, mais il faut absolument crier halte au feu pour les autres centrales. Et il faut le faire vite, parce que les décisions se prennent sur le long terme dans le nucléaire, qu’il s’agisse de la mise à jour des centrales existantes ou de la construction de nouveaux réacteurs. Il ne faut pas prendre de retard, parce que ça pour-rait avoir de graves conséquences à la fois sur la production d’électricité, et sur le savoir-faire français.
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