Ou quand les réformes sur l’âge de départ en retraite sont en réalité payées cash par… les jeunes travailleurs
Les réformes des retraites menées en Europe ont fortement dégradé l’emploi des jeunes travailleurs. Alors qu'Emmanuel Macron entend poursuivre sa réforme des retraites, la réalité du marché de l'emploi des jeunes est-elle suffisamment prise en compte ?
par : Marc de Basquiat
Atlantico : Les réformes menées dans les pays du sud de l’Europe sur l’âge de départ en retraite ont eu un impact indirectement négatif sur l’emploi des jeunes travailleurs. Les auteurs d’une étude parue en 2016 parlent même de génération perdue. Comment expliquer un tel phénomène ?
Marc de Basquiat : Malgré certaines fragilités méthodologiques que les auteurs Tito Boeri, Pietro Garibaldi et Espen Moen ne dissimulent pas, l’étude publiée en septembre 2016 a mis en évidence un phénomène dérangeant : forcer les seniors à rester plus longtemps en emploi – par l’augmentation de l’âge de départ à la retraite par exemple – semble bel et bien ralentir les embauches de nouvelles générations de travailleurs.
Si on s’inscrit dans l’idée (fausse) qu’il existe un stock limité d’emplois à se répartir, leur conclusion est une tautologie. Là où leur approche est plus intéressante, c’est qu’elle tente de chiffrer le phénomène, à partir des évolutions constatées en Italie entre 2005 et 2015 : ils estiment que décaler d’un an le départ en retraite de cinq séniors conduit l’entreprise à renoncer à l’embauche d’un jeune.
Ce résultat est à prendre avec beaucoup de prudence, mais il prétend que retarder de deux ans le départ à la retraite de 200 000 salariés, dans des entreprises d’une certaine taille, se traduirait par la disparition de 80 000 emplois de jeunes. Bien entendu, ces jeunes trouvent d’autres solutions, dans des petites boîtes, en CDD, en intérim ou comme entrepreneurs, mais en règle générale, oui, on peut affirmer avec une certaine assurance qu’une politique consistant à relever systématiquement l’âge de départ à la retraite a pour conséquence désagréable de perturber l’inclusion des jeunes sur le marché du travail.
Malheureusement, ce mécanisme pervers n’est pas le seul biais qui distingue discrètement les conditions économiques des jeunes générations de ce qu’ont connu leurs aînés « boomers ». Qui a conscience que les retraités ne cotisent quasiment rien pour un système de santé (parmi les meilleurs du monde, bla bla), dont ils sont les premiers consommateurs ? On commence à prendre conscience que la France est le seul pays où le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs… et nettement plus élevé que celui des jeunes actifs. Mais les rapports des experts du COR nous « rassurent » : cette anomalie n’est que temporaire ! Ses projections – rarement vérifiées – montrent un tassement des courbes et un rattrapage progressif des actifs sur les retraités.
Le fait marquant du scrutin des régionales est le taux d’abstention record : deux tiers des français ne se sont pas déplacés. Score impressionnant parmi les 18-24 ans : seulement un sur dix s’est senti concerné. Les 25-34 ans ont fait un peu mieux : deux sur dix. Comment leur donner tort ? Pourquoi participeraient-ils à une démocratie qui donne systématiquement la priorité aux intérêts des vieux ?
L’article cité évoque une « génération perdue ». Cette formulation me parait mal adaptée au cas français. Ce n’est pas seulement « une génération ». En réalité, notre démocratie est devenue une gérontocratie : le pouvoir décide en fonction des préférences de ceux qui votent, pas de l’intérêt commun et certainement pas de celui des générations qui ne croient plus à la politique.
Emmanuel Macron entend poursuivre la mise en place de sa réforme des retraites et d’augmenter l’âge de départ légal. La réduction de la générosité du système des retraites prend-elle suffisamment en compte le marché de l’emploi des jeunes travailleurs ?
Il est significatif que votre question reprenne l’amalgame habituel en qualifiant de « générosité » le fait d’autoriser les salariés à partir tôt à la retraite. La question de fond en l’espère devrait plutôt être : à quel prix ? Qu’un salarié décide de partir à la retraite à 50 ans n’est un problème pour personne, tant que la pension qu’il reçoit est cohérente avec les cotisations qu’il a versé pendant la durée de sa courte vie active. Comprenons le bien : s’il a versé en moyenne 800 euros par mois pendant 25 ans, il a constitué un capital socialisé de quelques 240.000 euros (je néglige le taux d’inflation pour simplifier l’explication). Avec une espérance de vie de quelques 33 ans, il n’y a aucun problème à lui verser à vie une pension de retraite de 600 euros par mois.
Là où se pose la question de la « générosité », c’est lorsqu’on prétend que ces 600 euros sont insuffisants, qu’il faut lui garantir un montant de pension supérieur, par exemple 900 euros. Qui doit payer les 300 euros non financés par les cotisations ? La réponse actuelle est double. D’une part, le calcul des pensions de retraite est non linéaire, plus généreux avec les pensionnés modestes que la simple division du stock de cotisations par l’espérance de vie à la date de la liquidation des droits à retraite. Cette première « générosité » pèse sur l’équilibre des systèmes de retraite. D’autre part, il existe des dispositifs tels que l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA, ex-Minimum vieillesse) financés par l’impôt payés par tous. Cette deuxième « générosité » contribue à creuser le déficit de l’Etat.
N’oublions pas la troisième « générosité » à l’égard de nos anciens, le fait qu’ils n’acquittent quasiment aucune contribution au système de santé, si ce n’est une CSG à un taux progressif contrairement à tout le reste de la population.
Forcer les salariés à rester plus longtemps à leur poste est une hérésie morale et économique. La question financière est focalisée depuis trop longtemps sur un seul paramètre, le nombre de mensualités de cotisations, et refuse d’aborder la seule question sensée : comment remettre en cohérence les pensions versées à nos chers retraités avec le total des cotisations qu’ils ont versées – dont la durée de versement n’a strictement aucun intérêt ?
Comme souvent avec les politiques publiques, la solution la plus efficace est toujours la plus compréhensible par les citoyens. Inventer des mécanismes perfectionnés que personne ne comprend a deux conséquences : (1) cela flatte l’égo de leurs concepteurs et (2) cela garantit une rente aux administrations qui devront les gérer pendant des décennies. A l’inverse, un dispositif simple est un déchirement pour les experts et une angoisse pour les administrations. Leur réticence à l’envisager est logique.
L’article de nos trois chercheurs (deux italiens et un norvégien) conclut avec des orientations très pertinentes. Il faut d’abord accepter qu’un départ tôt à la retraite ait pour conséquence – simple et compréhensible par tous – que le montant de la pension soit réduit. C’est exactement ce que réalise un système en comptes notionnels, qui divise le stock en euros de cotisations versées pendant sa carrière par l’espérance de vie à la date de liquidation des droits.
En conséquence, l’âge de départ à la retraite devrait être aussi flexible que possible (c’est ce que fait le système « à cotisations définies » adopté par l’Italie). Ce faisant, on laisse s’installer un équilibre naturel entre les départs des salariés âgés, à leur rythme, et leur remplacement par les nouvelles générations. L’article évoque à raison un système « neutre sur le plan budgétaire, qui fonctionne comme un stabilisateur automatique ».
Dans un récent rapport, j’y ajoutais une autre dimension, celle d’une solidarité intragénérationnelle entre retraités, un prélèvement uniforme à taux unique sur tous les revenus de ceux qui ont fait valoir leurs droits à la retraite vers ceux dont les pensions sont les plus faibles. Moralement, il est préférable que chaque génération gère elle-même ses déséquilibres entre riches et pauvres, plutôt que demander en permanence aux générations suivantes de payer pour compenser ses propres égoïsmes.
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