« L’IDÉOLOGIE WOKE.ANATOMIE DU WOKISME »ET « FACE AU
WOKISME », Pierre Valentinnotes pour la FondaPOL, Consultables en
ligne sur le site du think-tank
Compte rendu de Paul Sugy dans Le Figaro - vendredi 6 août 2021
Pour qui suit d’assez près la chronique hélas quotidienne de ses errements, la gauche « woke »
n’a que peu de secrets tant ses obsessions répétitives rendent ses assauts prévisibles.
Récemment encore, il s’est trouvé des bonnes consciences pour s’inquiéter du consentement
de Blanche-Neige au baiser de son prince : l’ironie veut que cette « indignation » ait été
préalablement imaginée sous forme parodique par des internautes facétieux, avant même que
des militants s’emparent du scandale - au premier degré, cette fois.
Si donc les motifs de ses crises d’urticaire, ainsi que ses méthodes (que l’on a longtemps crues
cantonnées aux campus américains et que l’on voit pourtant avec inquiétude s’importer chez
nous : culture de l’annulation, chasse aux sorcières, préférence pour l’entre-soi « non
mixte »…), sont déjà bien connus, restait à comprendre les conditions sociales, culturel es et
même psychologiques du succès du « wokisme ». À quoi s’attel e avec brio le jeune Pierre
Valentin, qui vient de publier pour le compte de la Fondation pour l’innovation politique
(Fondapol, think-tank) deux notes remarquables sur les origines de ce mouvement et les
raisons de son influence.
L’étudiant en sciences politiques retrace d’abord l’origine du mot lui-même, qui n’a pris que très
récemment un tour péjoratif : apparu dans un clip de R’n’B afro-américain en 2008, le terme
« woke » a été popularisé puis repris en chœur par de nombreux activistes antiracistes aux
États-Unis et en particulier ceux du mouvement Black Lives Matter. Ainsi, rester « woke »
(« éveil é »), assurent les partisans de cette notion, c’est avoir « conscience » de la perpétuation
de schémas de domination appelant à une vigilance voire à une lutte permanente.
De cette attitude militante, Pierre Valentin dissèque sans pitié les subterfuges et les
opportunismes, s’appuyant pour ce faire sur les contributions précieuses de plusieurs auteurs
américains non traduits et encore trop peu connus du public français, en particulier Helen
Pluckrose et James Lindsay (qui s’étaient il ustrés déjà en prenant au piège certaines revues
universitaires au moyen d’un canular savoureux).
L’architectonie du système de pensée « woke » repose sur quelques soubassements très
simples, mais qui, pour discutables qu’ils soient, n’en donnent pas moins à leur adeptes une
forte autorité puisqu’ils permettent de jeter le soupçon sur la quasi-totalité de nos certitudes
politiques : le savoir, estiment-ils, est moins le fruit d’une recherche universel e de la
connaissance que d’une lutte de pouvoirs. Les distinctions et les hiérarchies sont donc d’emblée
suspectes ; et avec el es le langage et la culture, accusés au fond d’être les instruments de
pouvoir des « classes dominantes ».
De là aussi un rejet de l’idée même de norme, évincée au seul motif qu’il existe toujours des
exceptions : « Le schème est identique, quel que soit le sujet : commencer par dénicher une
norme ou un idéal, puis mettre constamment en avant des individus qui sont en dehors de cet
idéal en insistant sur leur souffrance en tant que personnes marginalisées », note l’auteur dans
un amusant mode d’emploi à l’usage des apprentis « woke ».
Mais le succès d’un tel modèle explicatif tient aussi à plusieurs paramètres exogènes. Il s’agit
d’une part de l’émergence des nouveaux réseaux d’information et de communication, qui
survalorisent les contenus viraux, et donc l’émotion et son corollaire presque inséparable :
l’indignation. D’autre part, l’affaiblissement des liens col ectifs et l’émergence en réaction d’une
« bureaucratisation des rapports sociaux » permet, détail e Pierre Valentin, de banaliser le
recours en cas de conflit à l’arbitrage d’une tierce personne. Le tout avec pour toile de fond la
victoire de « la logique de la victime » (dont le statut s’est sacralisé) sur cel e de l’honneur
(jugée désuète) : voilà comment prospère la recherche incessante chez les militants « woke »
de nouvel es « offenses » contre lesquel es il convient d’exiger « réparation » auprès de
l’administration (cel e d’abord des universités, puis des grandes entreprises et de plus en plus
désormais cel e des États).
De là cette hypothèse psychologique : les tenants du « wokisme » seraient d’abord les héritiers
d’une génération de nantis ayant eu tendance à surprotéger leurs enfants, ceux que la langue
de Shakespeare appel e les « helicopter parents ». S’appuyant cette fois sur les observations du
psychologue Jean Piaget, l’auteur avance que « chez les enfants des classes aisées, l’érosion
progressive du temps moyen de leurs instants de jeu libre empêcherait le bon développement
de l’enfant. Qui garderait, une fois adolescent et jeune adulte, le besoin de régler ses
désaccords avec ses semblables par le recours à une intervention extérieure, souvent issue
d’une autorité formelle ».
En vulgarisant et en rendant accessibles au public francophone de nombreux travaux essentiels
sur ce phénomène qui ne laisse pas d’agiter, parfois violemment, la vie intellectuel e de chaque
côté de l’Atlantique, Pierre Valentin rend là un immense service à tous ceux qui souhaitent
approfondir leur compréhension des sophismes de la pensée « woke » - voire y répondre. Il
observe enfin fort justement que l’un des meil eurs antidotes connus à ce jour reste l’humour, et
il importe de noter le succès récent de nombreux comptes satiriques sur les réseaux sociaux,
qui ont au moins le mérite de souligner la pauvreté du procédé : dès lors, en effet, que toute
référence à une quelconque norme atteste d’une probable oppression, l’étendue des
indignations possibles semble sans limite. Et il y a urgence à refermer la boîte de Pandore.
PAUL SUGY
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