Christophe Béchu a appelé fin février à se préparer à un scénario « pessimiste » dans lequel la France se réchaufferait de 4 °C par rapport à l’ère préindustrielle.
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Pauline Brault Journaliste Lille, France Journaliste spécialisée environnement. Formée à l'ESJ/Sciences Po Lille/ Master Climat et médias. En apprentissage au HuffPost
ENVIRONNEMENT - Des pics de chaleur à plus de 50 °C, des départements les pieds dans l’eau, des virus qui prolifèrent… C’est le film catastrophiste d’une France qui se réchaufferait de 4 degrés en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Un scénario « du pire » auquel le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a appelé à se préparer car il pourrait devenir réaliste si nous ne réduisons pas drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.
En fonction des politiques qui seront ou non mises en place, les experts du Giec ont dessiné cinq trajectoires d’augmentation des températures pour la fin du siècle. L’une mène à un réchauffement planétaire d’environ trois degrés, ce qui correspond à une hausse de la température moyenne dans l’Hexagone évoquée plus haut. Ce scénario « médian » n’est pas le plus pessimiste, et pourtant, un tel réchauffement bouleversait déjà nos quotidiens, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous.
Un climatologue, un chercheur en sciences sociales, un épidémiologiste, des experts de la biodiversité ont aidé Le HuffPost à esquisser le portrait d’une France à +4 °C de réchauffement. Ce scénario n’est pas encore écrit, précisent ces scientifiques. Ils appellent à réduire au plus vite nos émissions de gaz à effet pour l’éviter à tout prix.
· Les températures estivales des pays d’Afrique du Nord
« La Tunisie, Alger, le sud du Maroc… le climat des régions d’Afrique du Nord qui connaissent déjà des pics à 50 °C, c’est ce qu’on connaîtrait certains étés extrêmes dans une France à + 4 °C », rapporte le climatologue Robert Vautard. L’été caniculaire de 2022 est un bon repère pour imaginer le climat en 2100, ajoute le directeur de recherche au CNRS : « L’été 2022, serait un été moyen voire un peu froid ».
Si on ne s’y prépare pas, à l’instar de la canicule de 2003, ces températures extrêmes provoqueront des milliers de morts dans l’Hexagone chaque année en 2100, abonde le chercheur. La saison estivale serait aussi marquée par des déluges fulgurants. L’intensité des pluies extrêmes augmenterait de 20 %. C’est d’autant plus « énorme » que nos villes ne sont pas préparées aux inondations qui en découleraient. Les systèmes d’évacuation des eaux seraient débordés, nos rues inondées, et les bouches de métros remplies à ras bord, comme à Paris l’été dernier
· Littoral grignoté par la mer
La région méditerranéenne inquiète particulièrement le climatologue, car elle cumule de nombreux risques : « Les feux de forêts, les températures extrêmes, la baisse des précipitations en été et en hiver, dont la résultante est la raréfaction de l’eau, ou encore la montée des niveaux des mers ».
Avec une trajectoire à + 4 °C de réchauffement, le Giec estime la montée du niveau marin à environ 80 cm d’ici la fin du siècle, grignotant les littoraux français. Outre le pourtour méditerranéen, les départements avec de longues plages de sable, comme la Gironde, la Manche et la Charente-Maritime, observeront un net recul de leur trait de côte.
· Apparition de nouveaux virus
« Montée de la mer, précipitations intenses, inondations, sécheresses… il existe des interactions entre tous ces aléas climatiques et les pathogènes », explique l’épidémiologiste Édouard Lhomme. Le spécialiste des maladies infectieuses argue que dans une France à + 4 °C, la santé humaine ne sera plus dissociable de celle de la planète, avec « plus de la moitié des maladies connues chez l’homme intensifiées avec le changement climatique ».
Avec l’augmentation des températures et la modification des précipitations, les moustiques porteurs de dengue et de chikungunya profiteraient d’un climat idéal pour se reproduire. Plus étonnant, la multiplication d’activités récréatives autour de l’eau en période de forte chaleur « pourrait multiplier les cas de choléra ou de gastroentérites ».
· Inégalités creusées et « situations émeutières »
Ces problèmes climatiques sont de nature à faire régner en France un climat de tensions et de colère, alerte Jean-Paul Vanderlinden. Ce professeur d’économie écologique à l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines estime que les incertitudes liées au climat seraient telles que les comportements individualistes et l’incivisme grandiraient dans la société.
« Lors des canicules, les catégories privilégiées auront les moyens de s’acheter une clim’. Ils enlèveront ainsi la chaleur de leur intérieur, en la repoussant vers l’extérieur. Les plus précaires qui se prendront en pleine face la soufflerie de la clim (...) vont ressentir de la colère et de l’injustice », illustre-t-il.
Le défi « terrible » qui nous attend est de « ne pas laisser les inégalités croître au fur et à mesure que les surprises liées au climat surviendront », estime-t-il. Pour Jean-Paul Vanderlinden, les « situations émeutières » liées au manque d’eau, comme celles provoquées par la création de méga-bassines à Sainte-Soline, risque de se multiplier.
· Abandon de certaines cultures
La guerre de l’eau serait d’autant plus virulente que les plantes réclameraient encore plus d’eau pour pousser face à l’aggravation des sécheresses. « La France s’est déjà réchauffée de +1,8 °C (depuis la période 1850-1900 ndlr) et les dégâts pour les cultures sont déjà énormes, alors sous + 4 °C... ce serait catastrophique », s’inquiète Hervé Quénol, chercheur au CNRS.
Peu gourmande en eau, la vigne survivrait dans une France à +4 °C en migrant en Bretagne ou en Normandie, mais ce ne serait pas le cas de toutes les cultures. Certains fruits et légumes comme les pommes de terre seraient minuscules. Des arbres fruitiers, comme les cerisiers disparaîtraient de nos jardins, grignotées par des parasites ou par la mouche asiatique profitant de la chaleur pour proliférer.
Il faudrait remplacer les céréales les plus gourmandes en eau par le sorgho, dont le besoin en eau est trois voire quatre fois moins important que le maïs ou le blé. Toujours pour préserver la ressource en eau, les protéines animales seraient remplacées par des végétales : des champs de lupin, de lentilles, de pois chiches prendront racine dans le paysage français. Une adaptation qui doit être réfléchie dès à présent.
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